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Contrat d’assurance-vie souscrit avec des fonds communs : bien commun ou bien propre ?

Lorsque des époux communs en biens souscrivent ensemble des contrats d’assurance-vie, se pose la question du traitement civil des capitaux au décès du premier époux.

Distinction entre biens communs et biens propres :

Dans le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, l’actif se répartit selon l’origine des biens.

Sont qualifiés de biens propres, les biens possédés par les époux au jour du mariage ou acquis par eux durant le mariage par succession ou donation (c. civ. art. 1405).

Sont qualifiés de biens communs, les biens acquis par les époux au cours du mariage autrement que par donation ou succession (c. civ. art. 1401).

Contrat d’assurance-vie et décès d’un des époux : comment qualifier le capital ?

Mécanisme de l’assurance-vie

Fondé sur le mécanisme de la stipulation pour autrui, le contrat d’assurance-vie bénéfice de règles civiles spécifiques. Le contrat se dénoue par le décès de l’assuré au profit d'un bénéficiaire déterminé ou des héritiers mais ni le capital ou la rente stipulé payable ne fait partie de la succession de l’assuré (c. ass. art. L. 132-12). De sorte qu’au décès de l’assuré, ses héritiers qui n’ont pas été désignés bénéficiaires ainsi que ses créanciers n’ont aucun droit sur le capital ou la rente garantis.

Toutefois, des règles particulières s’appliquent lorsque le bénéfice de l’assurance contractée par un époux commun en biens en faveur de son conjoint constitue un bien commun.

Distinguer co-adhésion réciproque ou conjointe

Pour déterminer si le capital revenant au conjoint survivant est un bien commun ou un bien propre, il faut rechercher si le contrat se poursuit, ou non, après le premier décès.

En pratique, lorsque la souscription est simple (l’époux souscrit un contrat d’assurance-vie et désigne comme bénéficiaire son conjoint), au décès du souscripteur, le capital versé au bénéficiaire est un bien propre même si les primes ont été versées avec des fonds communs.

Lorsque les époux souscrivent ensemble un contrat d’assurance-vie (en co-souscription), la souscription peut être réciproque ou conjointe (c. ass. art. L. 132-1).

Lorsque la co-souscription est réciproque, le contrat se dénoue au premier décès. Le survivant perçoit le capital, en qualité de bénéficiaire, qu’il peut replacer sur un nouveau contrat.

Lorsque la co-souscription est conjointe, le contrat se dénoue au décès du survivant des conjoints. Au premier décès, le contrat se poursuit au profit du co-souscripteur qui a le pouvoir de le racheter et de disposer des capitaux rachetés.

Co-adhésion réciproque : le capital versé au survivant est un propre

Il résulte de l’article L. 132-16 du code des assurances que le bénéfice de l’assurance contractée par un époux commun en biens en faveur de son conjoint, constitue un bien propre pour celui-ci. Aucune récompense n'est due à la communauté en raison des primes payées par elle (sauf dans les cas spécifiés des primes manifestement exagérées eu égard aux facultés du contractant).

Co-adhésion conjointe : le capital versé constitue un bien commun dont la moitié est réintégrée à l’actif de succession du défunt

Lorsque le contrat se poursuit avec le survivant des époux en qualité de seul souscripteur et qu’il n’est donc pas dénoué au premier décès, la valeur de la police dont les primes ont été payées avec des fonds communs constitue un actif de communauté dont la moitié doit être réintégrée à l’actif de la succession.

Cette solution dégagée par la jurisprudence dite « Praslicka » (cass., civ. 1re, 31 mars 1992, n°90-16343) vient d’être réaffirmée dans un arrêt récent.

Dans cette affaire, un contrat d’assurance-vie avait été souscrit par des époux communs en biens. Au décès de l’épouse venaient à la succession son mari, ses filles et ses petits-enfants par représentation de leur père prédécédé. Pour la Cour d’appel, le mari était bénéficiaire du contrat d’assurance-vie qui constituait pour lui un bien propre alors même que les primes avaient été payées par la communauté. Par conséquent, devait être rejetée la demande de réintégration dans la masse active de la succession de l’épouse prédécédée.

Mais la Cour de cassation casse l’arrêt aux motifs que le contrat s'était poursuivi avec le mari en qualité de seul souscripteur, ce dont il résultait que le contrat ne s’était pas dénoué au décès de l’épouse, que sa valeur constituait un actif de communauté et que la moitié de celle-ci devait être réintégrée à l’actif de la succession de la défunte (cass., civ. 1re, 26 juin 2019, n°18-21383).

Contrat d’assurance-vie souscrit avec des deniers communs : traitement civil des capitaux versés en cas de décès
Contrat
Décès
Sort des capitaux
Souscription simple
Du souscripteur
Dénouement du contrat. Bien propre pour le bénéficiaire sans récompense due à la communauté.
Du bénéficiaire avant le souscripteur
Poursuite du contrat. La valeur de rachat constitue un actif de communauté dont la moitié revient à la succession du défunt.
Co-souscription réciproque
Du souscripteur
Dénouement du contrat. Bien propre pour le bénéficiaire sans récompense due à la communauté.
Du bénéficiaire avant le souscripteur
Poursuite du contrat. La valeur de rachat constitue un actif de communauté dont la moitié revient à la succession du défunt.
Co-souscription conjointe
Du 1er souscripteur
Poursuite du contrat. La valeur de rachat constitue un actif de communauté dont la moitié revient à la succession du défunt.
Du 2e souscripteur
Dénouement du contrat au profit des bénéficiaires désignés.

Et sur le plan fiscal ?

La valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie souscrit avec des deniers communs et non dénoué lors du décès de l’époux n'est pas intégrée à l'actif de la communauté conjugale et ce, quelle que soit la qualité des bénéficiaires désignés. En conséquence, si civilement cette valeur est prise en compte dans les opérations de liquidation de la succession, elle ne l'est pas pour le calcul des droits de succession.

La taxation intervient au décès du second époux (rép. Ciot n° 78192, JO 23 février 2016, AN quest. p. 1648 ; BOFiP-ENR-DMTG-10-10-20-20-§ 380-01/07/2016).

Cette doctrine s'applique aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016 (rép. Mohamed Laqhila n°1594, JO 13 novembre 2018, quest. p. 10178).

Elle est sans incidence sur la qualification éventuelle de donation indirecte de la transmission réalisée via le contrat d'assurance-vie au bénéfice de l'autre conjoint (rép. Malhuret n° 00256, JO 10 janvier 2019, Sén. quest. p. 131).

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